23
Mar 21
Sommaire

    Il est parfois de jolies et passionnantes rencontres qui nous donnent l’occasion d’apprendre de nouvelles histoires au sein de la Grande Histoire. C’est ce qui nous est arrivé en rencontrant Julie Piront.

    Elle nous a ouvert, virtuellement pour l’instant, les portes du couvent des Annonciades Célestes de Joinville en Champagne et ce fut non seulement une belle rencontre mais aussi une découverte passionnante que nous avons souhaitée partager avec vous.

    Nous vous proposons donc de nous suivre durant deux mois chez les Annonciades Célestes, ordre féminin qui fut très implanté dans ce qui est aujourd’hui la Région Grand Est et dont on trouve maintes traces sur notre territoire.

    Bonjour Julie, pouvez-vous nous dire qui a créé l’ordre des Annonciades Célestes ?

    L’ordre des Annonciades Célestes a été fondé par une femme du nom de Marie Victoire Fornari à Gênes en Italie. Après avoir été mariée et être devenue veuve, elle a souhaité ardemment créer un ordre religieux très strict et ceci bien qu’elle ait été incitée à devenir Carmélite, ordre qui avait alors le vent en poupe dans la cité génoise. Elle a donc trouvé des bienfaiteurs et des bienfaitrices, dont certaines sont entrées dans l’ordre avec elle. Après avoir élaboré les constitutions (la règle) de son ordre, elle a pu recevoir l’autorisation de l’archevêque de Gênes de créer l’ordre des Annonciades Célestes en 1604.

    Quelle est la particularité de cet ordre ?

    La stricte clôture. C’est un choix fort que posait Marie Victoire Fornari en créant cet ordre ! Il faut savoir que les femmes qui devenaient Annonciades Célestes faisaient un quatrième vœu, celui de la clôture, en plus des vœux traditionnels d’obéissance, chasteté et pauvreté.

    Vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce vœu ?

    Quand les jeunes femmes entraient dans un couvent des Annonciades Célestes, elles savaient qu’elles n’en sortiraient plus jamais sauf sur autorisation (exceptionnelle) de l’évêque. Après un an de noviciat, elles faisaient profession et s’engageaient à respecter ce vœu de clôture, ce qui impliquait entre autres choses qu’elles ne verraient plus leurs familles que six fois par an et la famille très proche, bien sûr. Du point de vue matériel, la rencontre se faisait au travers d’une grille très particulière : cette grille était double – grille en bois et grille en fer – donc avec un double maillage qui restreignait la taille des trous. S’y ajoutaient des volets en fer percés de petits trous sur lesquels était tendue une toile noire. Ainsi quand on fermait les volets, on ne pouvait pas voir la religieuse, on pouvait seulement l’entendre. Et la règle voulait que ces Annonciades ne puissent voir leur famille que trois fois à « volets ouverts » et trois fois à « volets fermés ». A Joinville, nous pouvons encore voir ces grilles. Ce sont à ma connaissance les dernières conservées en Europe.

    Grilles des Annonciades (crédits François Griot)

    Nous reviendrons dans la newsletter du mois de mai sur la signification spirituelle de ce vœu et sur votre rencontre avec une des dernières Annonciades Célestes, mais pouvez-vous nous raconter comment cet ordre s’est établi sur le territoire du Grand Est ?

    Comme je vous l’ai dit, le premier couvent a été fondé à Gènes en 1604 par Marie Victoire Fornari. Celle-ci était quadragénaire lorsqu’elle a fondé cet ordre et est décédée seulement treize ans après sa fondation, en 1617. Ce n’est donc pas de son fait si l’ordre s’est répandu en Europe. Les Annonciades Célestes sont un ordre très discret et l’on ne compte qu’une cinquantaine de couvents fondés avant 1800. C’est très peu pour les 17e et 18e siècles. A titre d’exemple, les Carmélites réformées de Thérèse d’Avila ont fondé 77 couvents durant la même période et dans les seules frontières actuelles de la France. Mais ce mode de vie correspondait au souhait de certaines femmes et le contexte historique, la Réforme catholique ou Contre-Réforme, était favorable à la création d’ordres religieux. On a d’ailleurs parlé « d’invasion conventuelle » pour qualifier ce mouvement de multiplication presque frénétique des communautés religieuses au 17e siècle.

    Après Gênes, le deuxième couvent est fondé à Pontarlier, lui succède celui de Vesoul et c’est ce dernier qui va fonder celui de Nancy. Pontarlier et Nancy vont vraiment être les moteurs de la diffusion de cet ordre religieux au Nord des Alpes. Nancy est fondé en 1616 et à partir de là, un déploiement s’opère vers l’Est, à Haguenau et vers l’Ouest, à Joinville le 16 mai 1621 (nous allons fêter le quatre-centième anniversaire de leur arrivée ici !). Les Annonciades fondent encore à Langres en 1623, Epinal en 1632, Bourmont (entre-Meuse-et-Mouzon) en 1664. Sans oublier que d’autres fondations ont lieu en Meuse, vers Paris, puis vers la Belgique actuelle et même jusqu’en Allemagne actuelle. Ce sont des bâtisseuses !

    Les Annonciades ont leurs propres « réseaux sociaux » : des connaissances, des familles, des bienfaiteurs, etc. Elles arrivent à mettre à profit toutes les possibilités qui leur sont offertes pour fonder de nouveaux couvents, ainsi qu’elles le racontent dans leurs chroniques qui sont passionnantes.

    Carte Julie Piront

    Comment se faisait l’installation d’un couvent ?

    La plupart des couvents sont fondés en ville entre 1600 et 1650. En effet, lors du Concile de Trente (1545-1563), le sujet de la vie des religieuses qui, apparemment, inquiétait beaucoup, fut abordé.  Jusque-là, de nombreux couvents étaient en rase campagne et donc, à l’abri des regards. Que faisaient ces femmes ? Qui recevaient-elles ? Aux yeux de beaucoup d’ecclésiastiques de l’époque, les femmes étaient vues comme les « filles d’Eve », des pècheresses en devenir qu’il fallait étroitement surveiller. Le Concile de Trente leur imposa donc de s’installer en ville et de vivre en clôture, même aux ordres enseignants, ce qui ne sera pas sans poser de problèmes. Ainsi, ces femmes vont-elles être placées sous le contrôle de la société : on voit qui rentre et qui sort du couvent…. Mais pour les Annonciades Célestes, vivre en ville et en stricte clôture, c’était exactement ce qu’elles voulaient !

    Donc, pour établir un couvent, il faut acheter une maison, puis une autre à côté, puis un bout de terrain et faire avec cet ensemble de bâtiments quelque chose qui ressemble à un couvent. Si elles ont l’argent, elles rasent tout et font construire un couvent tel qu’elles le souhaitent, si elles n’ont pas assez d’argent, elles cassent des murs, ajoutent un portail pour bien montrer qu’il s’agit là d’une église et non pas d’une maison….  Les couvents ressemblent souvent à un ensemble de maisons les unes à côté des autres, avec un jardin aussi vaste que possible cerné d’un mur de 4 mètres de haut.

    Comment financent-elles ces achats, ces transformations ?

    Leur première source de revenus, ce sont leurs dots : pour devenir Annonciade Céleste, on apporte une dot au couvent (au lieu de l’apporter à un mari). Il y a deux statuts chez les Annonciades : les sœurs choristes qui ne font « que » prier et les sœurs converses qui sont affectées aux tâches domestiques. Évidemment, la dot des secondes est moins élevée que celle des premières. En fonction de la ville où se situe le couvent, la dot des unes et des autres varie également. Il faut savoir que ce ne sont pas des femmes pauvres qui entrent chez les Annonciades Célestes, car la subsistance du groupe dépend de ces dots. Lors de leur installation dans une ville, il peut d’ailleurs être spécifié dans l’autorisation municipale qu’elles reçoivent qu’elles ne soient pas à la charge de la population et donc être autonomes financièrement.

    Les dons et legs de bienfaiteurs sont une autre source importante de revenus, de même que l’argent généré par les propriétés foncières et les terres qu’elles acquièrent ou qui leur sont offertes.

    Parlez-nous du couvent de Joinville ?

    A Joinville, il y avait plusieurs couvents à la Révolution : un couvent d’Annonciades créé en 1621, un couvent d’Ursulines, un couvent de Bénédictines, un couvent de Capucins et un couvent de Cordeliers : cinq couvents pour environ 5000 habitants, c’est énorme !  Il faut se rappeler que Joinville est le lieu de naissance de presque tous les membres de la famille de Guise au 16e siècle, des personnes très influentes et très catholiques, ceci explique peut-être cela.

    Ici comme ailleurs en France, la Révolution met un couperet net à toutes les communautés religieuses avec une grande violence. Seuls deux couvents d’Annonciades parviennent à perdurer, celui de Langres et celui de Saint-Denis (à côté de Paris). Durant plusieurs années, elles vivent sans pouvoir porter l’habit, sans clôture, se rendant dans les églises proches pour entendre la messe, attendant des jours meilleurs. Sous Napoléon, s’opère la réouverture des communautés religieuses. Le couvent de Saint-Denis est dans un état qui ne permet plus d’y vivre, les religieuses se trouvent donc obligées d’en partir. Elles savent qu’à Langres, un autre couvent de l’ordre a lui aussi survécu. En quête d’un nouveau lieu pour s’installer, elles rendent visite à leurs sœurs langroises, passent par Joinville, apprennent qu’il y a là un ancien couvent de Bénédictines, le visitent et l’achètent sans savoir qu’avant la Révolution, des Annonciades occupaient déjà un couvent dans cette ville ! C’est une histoire incroyable !

    Couvent de Joinville (Crédits MarOneParis)

    Donc, en fait, il y a eu deux couvents d’Annonciades à Joinville au fil des siècles ?

    Oui, c’est cela. En 1842, elles s’installent à Joinville mais dans l’ancien couvent des Bénédictines, inoccupé depuis la Révolution. Dans la chronique de ce second couvent – et nous verrons que les Annonciades ont été des écrivaines très prolixes – il est raconté cette histoire que je trouve très touchante:

    En 1846, le curé de Bienville (Haute-Marne) vient voir les sœurs et leur indique que dans sa paroisse, il y a une vieille femme, nommée Marie Jeanne Caillot, qui a toujours vécu seule, avec une vie que l’on peut qualifier de religieuse et qui, apparemment, est entrée chez les Annonciades sous l’Ancien Régime. Cette femme, qui a alors 79 ans, vit dans des conditions matérielles épouvantables. Aussitôt, les Annonciades décident de la recueillir et l’invitent à les rejoindre. Elles racontent que la veille femme arrive couverte de puces, qu’elle a la vermine. La première chose qu’elles font est de la déshabiller, de brûler ses habits et de la laver! En fait, d’après les chroniques, il apparaît que cette femme n’avait pas pu prendre l’habit à cause de la Révolution. 50 ans après, dans le nouveau couvent de Joinville, elle réussit tout de même à devenir Annonciade après son année de noviciat, c’est-à-dire à 80 ans. La chronique dit qu’elle pleure de joie et qu’elle vécut encore 6 années. C’est la seule personne qui, à notre connaissance, ait fait le lien entre les deux communautés.

    Merci beaucoup ! Si vous le voulez bien, nous allons laisser là notre lecteur en espérant le retrouver le mois prochain. Nous y aborderons la vie quotidienne de ces sœurs et bien sûr, leur vie spirituelle.