Sommaire

    Nous commémorons cette année le 150e anniversaire de la guerre de 1870. Un siècle et demi après, ce conflit reste une guerre méconnue. Les deux guerres mondiales du XIXe siècle en ont effacé le souvenir. Elle est perçue dans la mémoire collective comme une guerre du XIXe siècle, caractérisée par les héroïques mais inutiles charges des cuirassiers. Pourtant, certains de ses aspects annoncent déjà la violence des conflits futurs : Strasbourg, Belfort ou encore Paris font l’objet de violents bombardements, les civils se réfugient dans les caves ou sont jetés sur les routes, les exactions commises par l’ennemi sont relayées par la presse, le nombre de prisonniers de guerre dépasse toutes les prévisions.

    Les prisonniers de guerre : un exemple alsacien

    Le sort des prisonniers de guerre durant le conflit franco-prussien a été largement occulté. Cette guerre a pourtant été à l’origine d’une captivité de masse sans précédent dans l’histoire européenne : plus de 500 000 soldats français ont été détenus par les autorités allemandes entre 1870 et 1871. Les vagues de prisonniers se sont succédées au rythme des grandes batailles, mais aussi des capitulations de places-fortes : Sedan le 2 septembre (83 000 prisonniers), Strasbourg le 28 septembre (17 500), Metz le 27 octobre (150 000 au minimum). Les places-fortes secondaires ont aussi contribué à alimenter le flot. En Alsace, Sélestat a capitulé le 24 octobre et Neuf-Brisach le 10 novembre.

    Uniforme de la garde nationale mobile. Archives de la Région Grand Est, site de Strasbourg, 2 J 815 (2)

    Les papiers de la famille de Reinach-Werth, conservés aux Archives de la Région (site de Strasbourg), nous permettent de reconstituer l’itinéraire d’un officier fait prisonnier lors de la capitulation de Sélestat.
    Félix de Reinach-Werth, né en 1837, était conseiller général et maire de Niedernai (Bas-Rhin) depuis 1867. Ancien élève de Saint-Cyr, ses compétences militaires lui avaient valu d’être nommé en 1868 commandant du deuxième bataillon de la garde nationale mobile du Bas-Rhin.

    Le 19 juillet 1870, après une crise internationale d’une quinzaine de jours, la France déclare officiellement la guerre à la Prusse. Le 1er août, le deuxième bataillon de la garde nationale mobile du Bas-Rhin est invité à se rendre à Sélestat pour prêter main-forte aux troupes régulières. La garnison de Sélestat comptait à cette date moins de 500 hommes et elle n’aurait pas été en mesure d’assurer seule la défense de la place. La garde nationale mobile (environ 1230 hommes) représentera l’essentiel des effectifs pendant toute la durée du siège. Cependant, les hommes qui composent la garde mobile n’ont pour la plupart aucune expérience militaire. Arrivé à Sélestat dès le 30 juillet, Félix de Reinach-Werth supervise l’installation et la formation des recrues. Des exercices sont organisés deux fois par jour.

    Après la chute de Strasbourg le 28 septembre 1870, le siège est mis devant Sélestat le 10 octobre. A partir du 20 octobre, un feu roulant d’artillerie se déchaîne sur la ville. Des incendies se déclarent en plusieurs endroits. Le 24 octobre, la place est contrainte de capituler. A 4 heures de l’après-midi, la garnison prisonnière quitte la ville avec les honneurs de la guerre, armes, bagages et tambours battants. Après avoir déposé les armes, les prisonniers prennent la route à pied en direction de Guémar.

    Les prisonniers de Sélestat passent la nuit du 24 au 25 octobre à Guémar. Les officiers logent à la mairie : les officiers supérieurs dans le cabinet du maire, les autres dans la grande salle. Le lendemain, la petite troupe quitte Guémar à huit heures du matin, toujours à pied. Les prisonniers traversent le Rhin à Artzenheim sur un pont de bateaux et se dirigent vers la gare de Riegel où les soldats prennent le train pour Mayence et les officiers pour Rastatt. Partis de Riegel à minuit, les officiers arrivent à Rastatt le lendemain 26 octobre à six heures du matin. Ils sont accueillis avec beaucoup d’égards et de cordialité par leurs homologues de l’armée badoise ; un repas leur est servi. Le soir, les officiers supérieurs sont logés au château. Le départ des prisonniers pour leurs lieux de captivité est échelonné : les simples officiers partent dès le 27 octobre. Les officiers supérieurs, dont fait partie Félix, restent à Rastatt deux jours de plus. Le 29 octobre à midi, Félix de Reinach-Werth s’embarque en gare de Rastatt pour un interminable voyage qui durera trois jours. Le 31 octobre, il arrive enfin à Breslau (actuellement Wroclaw, en Pologne, voïvodie de Basse-Silésie).

    Legitimationkarte au nom du baron de Reinach. Archives de la Région Grand Est, site de Strasbourg, 2 J 821 (5)

    En sa qualité d’officier, Félix de Reinach-Werth bénéficie à Breslau d’une situation relativement privilégiée. Contrairement aux simples soldats, enfermés dans des camps ou des casernes, il a le droit de loger à l’hôtel et peut circuler librement en ville. Dès son arrivée à Breslau, il prend pension à l’hôtel de l’Oie d’Or. Comme tous les officiers, il perçoit une solde de captivité versée par le gouvernement allemand. La surveillance exercée par les autorités est assez légère. Les officiers n’ont d’autre obligation que de se présenter régulièrement à l’appel, qui a lieu tous les trois ou quatre jours. Félix de Reinach peut aller et venir sans contrainte, tant qu’il ne dépasse pas les limites de la ville de Breslau. Il porte sur lui en permanence une carte appelée Legitimationkarte, qu’il doit présenter à toute réquisition éventuelle.

    Cependant, Félix de Reinach-Werth est conscient du statut assez privilégié qui est le sien. Il souhaite venir en aide aux simples soldats, dont le sort est beaucoup moins enviable. Entassés dans des camps surpeuplés, souvent blessés ou malades, les prisonniers sont démunis de tout. En décembre 1870, un comité de secours aux prisonniers de guerre français internés en Silésie se constitue à Breslau. Félix de Reinach-Werth en accepte la présidence. Le comité rédige un appel aux dons destiné à paraître dans le journal l’Indépendance belge. Cette initiative suscite aussitôt un important mouvement de solidarité. Le comité reçoit de nombreuses lettres venues de toute l’Europe, accompagnées de dons en argent ou en nature. Les dons sont envoyés soit par les comités de secours constitués un peu partout dans les grandes villes européennes, soit par des particuliers. Le comité de Breslau se charge de redistribuer les dons vers les principaux dépôts de prisonniers de Silésie, à Glogau, Neisse, Cosel, Schweidnitz, Falkenberg.

    Il s’agit là d’un autre aspect nouveau de cette guerre : la mise en œuvre d’une aide humanitaire qui s’est organisée pour la première fois à l’échelle de l’Europe. L’action des nombreux comités de secours, souvent créés à l’initiative des officiers, a été relayée et soutenue par la presse, générant un immense élan international en faveur des prisonniers, des blessés, des malades. Les initiatives individuelles ont encore été amplifiées par l’implication des Etats, notamment l’Angleterre et la Suisse. Les Suisses ont accueilli les soldats en déroute de l’armée de Bourbaki et les Anglais, de leur côté, ont versé des sommes importantes aux autorités allemandes pour la prise en charge des malades et des blessés.

    La captivité des prisonniers se révéla, au final, relativement brève. Les premiers rapatriements vers la France débutent en février 1871, après la signature des préliminaires de paix, pour s’achever au mois d’août. Félix de Reinach-Werth était de retour à Niedernai dès le 14 avril. Un voile de silence ne tarda pas à recouvrir l’expérience des prisonniers de guerre. La République française attendit le quarantième anniversaire du conflit, en 1911, pour honorer ses anciens combattants en leur décernant une médaille commémorative. Son équivalent allemand avait vu le jour dès le mois de mai 1871…

    Les Champs du souvenir en Alsace et en Moselle

    Dépliant de présentation du musée de Woerth (vers 1995). Archives de la Région Grand Est, site de Strasbourg, 2070 WR 34

    150 ans après la fin de la guerre, le bruit des armes s’est depuis longtemps éteint, laissant la place au souvenir. Sur les frontières de l’Est, les anciens champs de bataille se sont très tôt couverts de monuments commémoratifs. Sur le seul champ de bataille de Woerth-Froeschwiller, on ne compte pas moins de 84 monuments et sites érigés à la mémoire des combattants français et allemands. Dès la fin du conflit, cette abondance de monuments a favorisé un important tourisme de mémoire, aujourd’hui en net déclin. Les commémorations de cette année seront peut-être l’occasion de lui donner un nouvel élan.

    Outre la découverte des champs de bataille, le tourisme mémoriel peut s’appuyer sur la visite de nombreux musées de site. L’Alsace du Nord a été le théâtre des premières grandes batailles de cette guerre, au début du mois d’août 1870. On peut y compter deux musées, à Woerth et Wissembourg. A Woerth, le musée de la bataille du 6 août 1870, plus connue sous le nom de « bataille de Reichshoffen », a été inauguré en 1970. Il s’est constitué à partir d’une collection privée rachetée par la commune de Woerth. D’abord installé dans l’ancien hôtel de ville, le musée a déménagé en 1978 avec la mairie pour occuper l’ancien château des Hanau-Lichtenberg. Parmi les pièces maîtresses du musée, on peut citer un tableau célèbre d’Edouard Detaille représentant la charge des cuirassiers à Morsbronn ainsi qu’un diorama reconstituant la bataille, composé de 4.000 figurines en étain peintes à la main. A Wissembourg, le musée Westercamp s’est installé depuis peu dans l’ancienne sous-préfecture fermée en 2014. Plusieurs salles en cours d’aménagement seront consacrées à la guerre de 1870.

     

    Dépliant sur les opérations militaires, monuments commémoratifs et lieux de mémoire, Office National des Anciens combattants de la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle. Archives de la Région Grand Est, site de Metz, 1424 WLO 52

    Le musée départemental de la guerre de 1870 et de l’Annexion, inauguré en avril 2014 à Gravelotte (Moselle) commémore le souvenir d’une autre bataille : celle du 16 août 1870. Cette bataille a marqué les esprits par sa violence. 32.000 morts, blessés ou disparus, français et allemands, ont été dénombrés à l’issue des combats, dont 6000 soldats morts à Mars-la-Tour. Le musée possède notamment une très belle collection de tableaux. On peut aussi y voir des fragments de l’ancien Panorama de Rezonville, peint par Edouard Detaille et Alphonse de Neuville. Ce lieu est né de la fusion de deux musées : celui, allemand, de Gravelotte, fondé en 1875 ; celui, français, de Mars-la-Tour, créé en 1905. Les deux collections ont existé jusque dans les années 1990 avant de fusionner sous l’égide du Département de la Moselle. Aujourd’hui, environ 30 % des visiteurs du musée sont allemands…

    Les collections du musée de Gravelotte

    Le musée de Gravelotte possède une vaste collection d’objets, dont certains ont été acquis avec le soutien de la Région par l’intermédiaire du Fonds régional d’acquisition des musées (FRAM). Nous vous en proposons ci-dessous un petit aperçu. Ces affiches du film « Episode sanglant de la Maison Tragique 1870-1871 », réalisé par Henri Andréani en 1913, racontent l’histoire de la maison des « dernières cartouches » à Bazeilles.

    Archives de la Région Grand Est, site de Metz, 1556 WLO 04.
    Archives de la Région Grand Est, site de Metz, 1556 WLO 04.

     

     

    Cet étui en cuir pour mousqueton de cavalerie Dreyse, modèle 1857, fait partie du harnachement. Les dragons comme les uhlans et les hussards en étaient équipés.

     

    Archives de la Région Grand Est, site de Metz, 1556 WL0 04.

     

     

    Cet habit d’officier et son couvre-chef militaire, le shako, étaient portés pendant le Second Empire, notamment par les élèves polytechniciens de l’Ecole d’application de l’artillerie et du génie de Metz.

     

     

     

     

     

     

    Sources :

    Les prisonniers de guerre

    Archives de la Région Grand Est, site de Strasbourg, papiers du baron Félix de Reinach-Werth :

    • 2 J 815-820 (garde nationale mobile)
    • 2 J 821-826 (captivité à Breslau et présidence du comité de secours aux prisonniers de guerre)

    Les champs de bataille et les sites mémoriels, les collections du musée de Gravelotte

    Archives de la Région Grand Est, site de Strasbourg

    • 1845 WR 9 (9), 1899 WR 41 (6) et 2070 WR 334, projet d’exposition « Mémoire en bataille » sur le thème de la bataille de Reichshoffen présenté par l’association des amis du musée et du patrimoine de Woerth et environ (1996-1997)
    • 2630 WR 109, réalisation d’une étude de faisabilité en vue de la restructuration du musée de la bataille du 6 août 1870 et de la valorisation culturelle et touristique du champ de bataille (2005-2007)
    • 2342 WR 956-957, réhabilitation du sentier des Turcos à Woerth (2000-2009)

    Archives de la Région Grand Est, site de Metz

    • 1424 WLO 52, dépliant sur les opérations militaires, Office National des Anciens combattants de la Moselle et la Meurthe-et-Moselle
    • 1556 WLO 04, Musée de Gravelotte, Affiches, objets et habit d’officier (1913, 1852-1870)