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Août 20
Sommaire

    Chers lecteurs,

    De temps en temps, nous avons décidé de vous proposer le portrait d’un des membres du Comité interreligieux auprès de la Région Grand Est. Car nous croyons que le dialogue interreligieux est avant tout affaire de personne, de personnes allant à la découverte de l’autre et de son cheminement. 

    Ce mois-ci, nous avons demandé à Christian Albecker de jouer le jeu : son portrait contre un édito sur notre newsletter « Au fil du Dialogue Interreligieux »! Dans les mois qui viennent, nous ferons la même proposition à d’autres membres du Comité interreligieux. Nous espérons de tout cœur que vous les découvrirez avec plaisir. 

    En vous souhaitant une bonne lecture ! 

    Christian Albecker ou l’embrasement pudique

    Il y a chez Christian Albecker une attitude étonnante qui oscille entre la sobriété sereine de l’eau claire et quelque chose de l’ordre du feu ardent. Audacieux dans ses choix de vie tout en étant resté l’enfant sage qu’il fut, Christian Albecker est un homme exigeant avec lui-même et qui n’hésite pas à porter sur soi un regard parfois moqueur. Sur son chemin de croyant, il oriente ses regards et ses choix, dans une sobriété discrète et polie, mais avec une certaine audace et une détermination presque têtue qui l’arme au jour le jour. L’embrasement qui alimente de ses braises tout son être trouve sa source en Jésus, la foi, quelque chose qui le dépasse et qu’il accepte comme le plus extraordinaire des cadeaux : être aimé de Dieu sans condition, ce que les chrétiens appellent la grâce, libère de l’obligation de se justifier et invite, par reconnaissance, à se mettre librement au service du monde et des autres. Paradoxalement, cet embrasement reste pudique, sans nom, dans cet espace qui le dépasse et qui le forge agissant plutôt que contemplant.
    C’est dans son bureau au mobilier solide et confortable, Quai Saint Thomas, que je rencontre Christian Albecker. Au mur sont accrochés de précieux souvenirs, une calligraphie faite de la main de son père « Ora et Labora », un tableau peint par un pensionnaire du Sonnenhof, une copie d’un tableau de Van Gogh (l’Eglise d’Auvers-Sur-Oise) peinte par lui-même. Sur la table, devant moi, le très beau fac similé d’un Evangile en grec offert lors des célébrations des 500 ans de la Réforme. Quelques icones, le tableau de la réconciliation du pasteur Oberlin …. Il n’y a pas ici la fameuse sobriété que l’on prête aux protestants et pourtant, c’est sobre, c’est disposé.

    Christian Albecker s’ouvre à la discussion avec une honnêteté presque désarmante. Je le croyais homme secret, je trouve un homme ouvert et qui ose aborder ses doutes.
    Il est né à Strasbourg en 1955 d’un père catholique non pratiquant et d’une mère protestante. Ces deux-là, après bien des achoppements liés aux temps déjà un peu anciens où ce mariage était mal vu, baptiseront leurs deux enfants dans la foi protestante. Ce baptême, il le verra comme un cadeau, un « magnifique cadeau ». Enfance heureuse, élève sage, « trop sage » dit-il en souriant, doué à l’école et promis à de belles études, l’enfant Christian Albecker se met ainsi en chemin sur le chemin de la foi protestante, une foi exigeante, transformée et transformatrice au fil du temps. Lors de sa confirmation, le pasteur choisit pour lui un verset qui le suivra toute sa vie :
    « On demandera beaucoup à qui on a beaucoup donné et on exigera davantage de celui à qui on a beaucoup confié. Luc 12.48 »
    Dont acte : la vie lui a beaucoup donné et lui a beaucoup confié. L’homme y trouvera parfois une source de réflexion, parfois la protection de l’armature mais aussi, parfois, le sentiment pesant d’une lourde charge à assumer.
    Il est vrai que Jean-François Collange* lui a dit un jour que l’on avait davantage besoin de pasteurs que d’ingénieurs mais quand ce n’est pas l’heure… Des études à Polytechnique, puis à l’Ecole du Génie Rural, des Eaux et des Forêts, un mariage, trois filles « magnifiques », une « épouse dont je suis très fier », Ministère de l’Agriculture, Crédit agricole mais tout de même, des études de théologie en cours du soir, licence à la faculté libre de théologie protestante de Paris et après son retour à Strasbourg, la maîtrise. Il lui a fallu 7 ans pour y arriver, vie professionnelle et familiale obligent. Mais au bout du parcours, une grande fierté. Et à la clé de grands questionnements sur le sens de la vie, de sa vie et un changement radical, la direction du Sonnenhof.

    Du Sonnenhof à la Présidence de l’Union des Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL)
    Nous sommes en 1994. Au Sonnenhof, ce n’est pas facile au début, la foi peut en prendre un coup, même la plus solide. Au bout d’un mois, en pleine journée, il saute dans sa voiture direction le café du coin pour prendre l’air, pour s’extraire de cette incommensurable souffrance. Mais le regard s’ouvre, change petit à petit « cela m’a beaucoup appris, et cela m’a permis d’être encore plus reconnaissant pour la vie que j’avais et pour les êtres qui m’entouraient ». Les parents qui ne s’en sortent pas car parents d’enfants très lourdement handicapés et qui culpabilisent de les confier à une institution, Christian Albecker les a bien connus. Comment ne pas être interpelé dans sa foi ? Comment expliquer ce qui, finalement, dépasse le croyant ? Et puis, heureusement, des moments de grâce comme celui, où, lors d’un culte, après avoir écouté un texte évoquant les Cieux, des enfants polyhandicapés allongés par terre, soulèvent le tissu léger et coloré d’un parachute dont ils tiennent les bords et font ainsi naître un souffle protecteur presque divin dans le silence des mots qu’ils ne peuvent pas même balbutier.
    En 2014, Christian Albecker prend ses fonctions de Président de l’UEPAL après une longue interrogation qui le mènera à relire le verset de sa confirmation.
    Son rôle ? Présider le Conseil de l’Union, coordonner la vie de l’Eglise, la direction des services, des ressources humaines, poser des repères dans l’organisation, allons disons-le, moderniser les choses. Avec comme fil conducteur, le fait que le message essentiel puisse être entendu dans les meilleures conditions possibles. « Nous sommes des vases d’argile, dit-il en référence à la 2e Epître de Paul aux Corinthiens, nous portons un trésor mais encore faut-il que la qualité du vase n’altère pas son contenu ».
    Dans sa corbeille lors de sa prise de fonction, la gestion du mouvement pastoral avec tous les changements liés au mode de vie des pasteurs, à la féminisation de la fonction aussi.
    Dans sa corbeille également, la bénédiction des couples de même sexe. « Je suis fier de mon Église », dit Christian Albecker en insistant sur chaque mot. La réflexion sur ce sujet a pris du temps, le cheminement a demandé à ouvrir les regards et à reprendre les lectures. « Mais en communiant sur l’essentiel, nous avons trouvé « une voie du milieu ». C‘est donc en 2019 que furent autorisées les bénédictions de couples de même sexe dès lors qu’il y a accord conjoint du pasteur et du conseil presbytéral responsable de la paroisse.
    En tant que Président de l’UEPAL, Christian Albecker a eu le privilège d’être le président des 500 ans de la Réforme en 2017. Ses yeux brillent encore lorsqu’il en parle : « Ça a été une grande aventure, un énorme travail dont je ne sais pas encore aujourd’hui comment nous avons fait pour y arriver ! » Un petit livret « Du conflit à la communion » initié par des théologiens du Centre d’études œcuméniques de la Fédération Luthérienne Mondiale à Strasbourg fut le résultat d’un travail de réflexion et de reformulation entre catholiques et protestants, travail destiné à dépasser un conflit nourri par les incompréhensions d’un autre temps.
    L’opuscule « Luther, les juifs et nous, déclaration de L’Union des Églises Protestantes d’Alsace et de Lorraine » sera le résultat de sa rencontre avec René Gutman, alors Grand Rabbin de Strasbourg. A la lecture des textes « vraiment terribles » écrits à la fin de sa vie par Luther à l’encontre des Juifs, en contradiction avec ses écrits de jeunesse très favorables à ces derniers, Christian Albecker invitera à revenir sur le malentendu qui en fut la source. De ce moment unique de dialogue interreligieux, une déclaration aura lieu rejetant clairement et sans ambiguïté les écrits anti judaïques de Luther**.
    Quand je lui demande de me parler justement du Dialogue interreligieux ***, Christian Albecker fait montre d’humilité : « Cela a été une découverte pour moi, je ne m’attendais pas à ce que cela prenne cette place-là dans mon poste mais je m’y suis volontiers impliqué ». Reconnaissant que le dialogue interreligieux est souvent une affaire de personne, il y voit aussi une affaire d’intelligence, de volonté et finalement, une évidence : vais-je vivre avec mon voisin en conflit ou dans la paix ? Il s’agit donc de faire un effort pour mieux saisir l’autre en le connaissant mieux, en faisant montre de bonne volonté, et de respect, sans prétendre accorder les convictions religieuses dans un syncrétisme réducteur. Mais il admet sans détour qu’il a des limites dans ce qu’il peut appréhender et comprendre des autres religions même si sa curiosité à leur égard est bien là. Il le reconnaît, l’effort est parfois fragilisé par les aléas de la violence des évènements, mais cela justifie d’autant plus le dialogue interreligieux.
    Pour terminer notre entretien, je propose à Christian Albecker de se prêter à un petit jeu :
    « Un mot pour exprimer votre vie de croyant ? » : « L’humilité ! C’est une attitude devant quelque chose qui me dépasse, je ne suis pas la référence ultime, il y a une autre réalité, humilité par rapport à Dieu, aux autres…. Je ne sais pas si je suis humble, confesse-t-il, car je suis aussi ambitieux, mais c’est tout de même ce mot qui me vient, une vie d’humilité car elle est au service, cette notion de service est très importante pour moi ».
    « Je vous donne une baguette magique qui vous permet d’exaucer deux rêves : le premier vous concernant, le second concernant ce monde, quels seraient-ils ? »
    « Un rêve qui me concerne ? J’ai plein de rêves ! peindre, écrire, voyager…. Être architecte ! Dans une autre vie, j’aimerais beaucoup être architecte, construire des maisons pour que les gens s’y sentent bien ! ».
    « Pour le second coup de baguette, comme tout le monde j’imagine, je fais le vœu que règnent la paix et la justice, que la dignité de toute personne soit respectée.
    C’est là une description du Royaume, mais en même temps, dans la dialectique chrétienne et tout particulièrement protestante, le « déjà » est en tension avec le « pas encore ». L’espérance chrétienne, c’est que ce sera ainsi en plénitude dans le Royaume donné par Dieu mais pas encore ici, dans cette vie, même si des signes concrets nous en sont déjà donnés. La crise du Covid a fait rêver certains que tout à coup, nous allions tous devenir plus attentifs les uns aux autres, plus proches grâce aux moments de communion vécus sur les réseaux sociaux et autres. Il est vrai que bien des choses ne se seraient pas produites en d’autres temps ; tentons de garder ce qui est né de bon et de le faire fructifier, c’est en cela un peu le « déjà » mais ce n’est pas « encore » la plénitude, ne nous faisons pas trop d’illusions ».
    Je regarde ma montre ; Christian Albecker également : il est amplement l’heure de nous quitter. Je me lève, remercie chaleureusement pour ce temps donné. Et quitte vivement le bureau de Christian Albecker avec ce sentiment étrange et agréable d’avoir volé un peu de temps au temps.
    Sacha Marche

    *Jean-François Collange, ancien président de l’UEPAL
    **présentation de l’ouvrage par Christian Albecker
    ***Christian Albecker représente l’UEPAL au sein du Comité interreligieux auprès de la Région Grand Est

    Image 1 : le tableau de la réconciliation Oberlin