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Avr 21
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                           « Le Concordat, c’est aussi un engagement des religions à défendre les valeurs de la République »

    Avec l’aimable autorisation du Monde rubrique Monde des Religions : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/16/le-concordat-c-est-aussi-un-engagement-des-religions-a-defendre-les-valeurs-de-la-republique_6076969_3232.html

    Rabbin à Strasbourg, Mendel Samama analyse, dans une tribune au « Monde », les effets sur son sacerdoce du régime concordataire qui, en Alsace et en Moselle, organise les relations entre les religions et l’État, et fait de lui un « rabbin d’État ». Mendel Samama est rabbin de Strasbourg et de la synagogue de la Meinau.

    Alors qu’un sondage IFOP, publié le 7 avril, indique que 52 % des Alsaciens-Mosellans sont favorables à l’abrogation du Concordat, ce régime qui organise les relations entre les religions et l’État, et est associé à un financement, je me suis posé la question de ce qui avait changé chez moi depuis que je suis rabbin d’État, et est-ce que ce changement justifiait l’engagement de cette relation.

    L’exercice de mon sacerdoce commença avant mon statut, puisque j’ai exercé au sein d’une des plus grandes organisations juives internationales, appelée Habad-Loubavitch. La vie m’a permis d’intégrer l’équipe rabbinique du consistoire israélite de Strasbourg et, après quelques mois, j’ai reçu ma première feuille de paie avec l’en-tête de la République française-ministère de l’intérieur.

    C’est à ce moment que la vision de ma vocation a changé, et ce, à deux niveaux. Être rabbin d’État, ce n’est pas uniquement être un rabbin payé par l’État. C’est surtout être un rabbin qui peut à tout moment devoir rendre des comptes à son employeur qui est l’État.

    Je me souviens du 8 janvier 2015, le lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, quand le maire de Strasbourg, Roland Ries, et le préfet, Stéphane Bouillon, convoquent les représentants religieux de la ville pour la signature d’une déclaration commune réaffirmant les valeurs de la République.

    Le sens du Concordat y résonnait avec splendeur. Parce que le Concordat, ce n’est pas uniquement à sens unique, c’est aussi un engagement des religions à défendre les valeurs de la République, à la représenter et à œuvrer pour elle.
    Puis, rabbin d’État veut aussi dire que je ne suis pas uniquement le rabbin de la synagogue, mais aussi le rabbin des habitants du quartier ou de la circonscription dont j’ai la charge. Peu importe la religion et les convictions de ces derniers, ma responsabilité dépasse le contour de ma religion pour s’adresser à chacune et chacun sans distinction.

    En avril 2019, alors que la communauté juive traversait une période difficile avec une recrudescence des actes antisémites, l’association interreligieuse de notre quartier de la Meinau, Oasis de la rencontre, décida d’organiser une soirée de solidarité à la synagogue. Il s’agissait de permettre à tous et toutes de partager un moment ensemble et de témoigner d’une solidarité. Le prêtre, la pasteure, l’imam et le rabbin ont pris la parole dans la synagogue, parce que nous étions tous chargés du bien-être de notre quartier. Les leaders religieux sous le régime du Concordat sont des collègues avec un employeur unique qui nous engage à être solidaires et à lutter sans relâche pour améliorer la vie commune de nos quartiers et construire le vivre-ensemble.

    Cette conscience n’est pas automatique. Même si elle peut exister sans le Concordat, elle reste la plupart du temps une affaire de conscience personnelle alors que le régime concordataire l’impose.

    Recevoir chaque mois cette feuille avec l’en-tête de la République française, ce n’est pas juste un privilège, c’est un engagement renouvelé envers les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, elles nous rassemblent et sont porteuses d’espérance afin d’améliorer la vie et le quotidien de tous et d’œuvrer en faveur de la cohésion de notre société.

    Ne pas mettre en valeur ces acquis du Concordat, c’est faire l’impasse sur ce qui fait l’essentiel de son esprit et comment il permet aux religions de servir les valeurs de la République et pas uniquement comment la République peut financer les religions.

    Le judaïsme associe toujours un droit à un devoir. Bénéficier d’un financement ou d’une rémunération de l’État indique un devoir envers lui. Il ne s’agit évidemment pas pour l’État de s’immiscer dans les affaires religieuses, mais de pouvoir « demander des comptes » aux religions quant à leur engagement pour les valeurs universelles et communes.

    par Mendel Samama