Newsletter « Au fil du dialogue interreligieux juillet 2021 »

Newsletter de la Région Grand Est consacrée au dialogue interreligieux

Sommaire :

  • Edito : « Ce que nos mères et nos grands-mères nous ont transmis de la cuisine » par Dorah Husselstein
  • Recette du « gefilte fish »
  • Chaîne YouTube du dialogue interreligieux
  • Recette du « pain nappé au porc façon Toutie »
  • A vos agendas :
    • Centre Pompidou-Metz,
    • Nuit des Musées
  • Agenda : les fêtes religieuses du mois de juillet

Au fil du dialogue interreligieux

 

Newsletter juillet 2021 : recette du pain au porc « façon Toutie »

Ingrédients :

200 grammes de viande de porc haché (de préférence de la poitrine de porc)

1 oignon

1 œuf

1 cuillerée à soupe de sauce soja

1 cuillerée à soupe d’huile

2 pincées de sel, du poivre

1 verre d’eau

1 baguette coupée en petites rondelles ( si possible de deux ou trois jours)

Préparation :

Mélangez les ingrédients sauf les morceaux de pain

Laissez reposer 30 minutes

Chauffez le four à 200 degrés

Étalez la farce sur les tranches de pain

Mettez au four entre 15 et 25 minutes

C’est prêt quand c’est bien doré !

 

 

Newsletter de juillet 2021 : recette du gefilte fish

Dans les recettes traditionnelles de gefilte fish le poisson est haché sur une planche en bois, ensuite incorporé à une pâte fine (à base de chapelure de matza – pain azyme -), et bouilli avec des oignons et des carottes. Comme son nom l’indique, le gefilte fisch est une farce sous forme de boulette (gefüllte en allemand signifie « rempli » ou « farci »).  Il est alors coupé en rondelles pour être accompagné d’une rondelle de carotte et de sauce au raifort  Le raifort peut être soit doux (de couleur violette car coupé à la betterave) soit de couleur blanche (beaucoup plus relevé car nature).

Ingrédients :

2kg de chair de poisson (type colin, cabillaud)

4 oignons moyens doux

2 carottes

2 œufs

3 cuillères à soupe de farine de pain azyme

1 cuillère à soupe de sucre, de la poudre d’amande

2 cuillères à café de sel (environ, préférable de commencer par une cuillère et de goûter), du poivre

Préparation :

Vérifier la chair du poisson, il ne doit pas y avoir d’arête. Coupez-la en morceaux puis mixez la finement avec deux oignons.

Ajoutez deux œufs, la farine de pain azyme, le sel, le poivre et la poudre d’amande. Bien mélanger pour obtenir une consistance homogène, un peu pâteuse.

Épluchez les carottes et les deux oignons. Les découper en fines lamelles et les poser au fond d’une marmite.

Faites des boulettes avec la préparation (une vingtaine environ) et posez-les délicatement dans la marmite au-dessus de carottes et des oignons.

Versez doucement de l’eau dans la marmite (verser dans les coins où il n’y a pas de boulettes pour ne pas les abîmer), les recouvrir complètement.

Poivrez, salez légèrement le bouillon et ajouter une cuillère à soupe de poudre d’amandes. Mettez sur le feu et faites cuire 45 minutes à petit feu à partir de l’ébullition.

Écumez si besoin pendant la cuisson. Lorsque les boulettes sont cuites, les retirer délicatement à l’aide d’une écumoire et les laisser refroidir dans un plat. Les conserver dans une boîte hermétique avec du bouillon pour éviter qu’elles ne s’assèchent.

Newsletter « Au fil du dialogue interreligieux juin 2021 »

Newsletter de la Région Grand Est consacrée au dialogue interreligieux

Sommaire :

  • Merci ! Un an déjà !
  • Prolongation de l’exposition Chagall au Centre Pompidou-Metz
  • Religions démêlées : « Rendez-vous à la mosquée »
  • 9ème édition des Sacrées Journées
  • Conférence « La résilience d’une foi partagée »
  • Agenda : les fêtes religieuses du mois de juin

Au fil du dialogue interreligieux

Entretien avec Michel Jermann, président du festival des Sacrées Journées

Bonjour Michel Jermann, je suis ravie de vous rencontrer pour évoquer avec vous la 9e édition du festival des Sacrées Journées qui va avoir lieu du 12 au 20 juin prochain. Pour commencer notre entretien, pouvez-vous revenir sur la vocation première de ce festival ?

Ce festival a pour vocation de valoriser toutes les musiques sacrées et d’inviter le public à découvrir cette réalité d’un vivre-ensemble porté par la musique. Ce vivre-ensemble se manifeste par l’invitation de personnes issues de spiritualités et de religions différentes au sein de lieux de culte tels que la cathédrale de Strasbourg, l’église du Temple Neuf, la grande synagogue, la grande mosquée, etc. Le principe qui constitue la base de ce festival consiste à faire participer trois ensembles illustrant trois confessions au sein d’un même lieu de culte.

C’est un festival qui se veut interreligieux, interculturel, international, mais aussi intergénérationnel. Qui provoque une rencontre avec l’autre venant parfois de l’autre côté de la planète et qui nous offre, l’espace d’un moment, un horizon de sons et d’appréhension de la spiritualité propre à nous interpeller, à nous toucher.  La rencontre des genres nous intéresse aussi : par exemple, l’année dernière, nous avons invité des médecine-man Amérindiens.  À côté de leur expression, il y a aussi de la place pour des musiques classiques comme Jean-Sébastien Bach. Nous avons aussi mis en place des ateliers qui permettent de s’initier à différents rituels pour aller vers une meilleure compréhension de l’autre. Dans ce cadre, cette année, nous proposons trois ateliers, dont une « conférence-dégustation » des polyphonies corses.

On peut voir à travers ce festival à quel point la musique est un langage universel…

Effectivement, la musique existe depuis l’origine du monde et même les hindous disent qu’un son primordial porte cette Terre. Ces musiques, comme la poésie par exemple, sont une manière de rentrer en relation avec les autres, mais aussi avec soi-même. Il y a comme une respiration à être à l’écoute de son émotion intérieure. C’est une invitation à être à l’écoute de son « for intérieur », ou de la « dimension de l’âme et de l’être ». C’est aussi cela, le festival, une rencontre avec soi-même…

Le festival rend hommage aux femmes lors de cette 9e édition, pourquoi ? 

Dans le passé, nous avons proposé des musiques sacrées qui ont porté sur la figure d’Hildegarde de Bingen. Il s’agit là d’une belle figure du Moyen-Âge, mais lorsque l’on regarde les siècles suivant l’univers musical, sont marqués par des figures masculines jusqu’à il y a peu de temps. Accueillir un chœur féminin pour chanter des polyphonies corses ou un ensemble de femmes pour vocaliser des chants diphoniques mongols, c’est une manière d’affirmer la force du chant et de la musique sacrée interprétée par des femmes.

Il propose aussi deux temps de rencontre avec des groupes scolaires :

Oui, ce souhait d’associer la jeunesse à ce festival est né après les attentats de Strasbourg en 2018. Il se trouve qu’un des bénévoles des Sacrées Journées, Bartek, faisait partie des victimes. Nous nous sommes demandé que resterait-il après le temps des protestations, des hommages, des silences et des prières ? Nous avons estimé qu’il était urgent de former des citoyens de demain. L’idée est donc née de permettre à des jeunes de rencontrer des artistes et des musiciens de divers univers culturels dans des lieux inhabituels tels que des lieux de culte. Cet évènement a été l’un des moteurs qui nous ont poussés à mettre en place ces rencontres des Sacrées Journées Juniors. Elles sont des temps forts d’ouverture à l’altérité et à la différence. Ils découvrent et rencontrent d’autres références musicales vers lesquelles ils n’oseraient pas s’ouvrir. C’est aussi, tout en découvrant ces musiques qu’ils ne connaissent pas , l’occasion d’entrer dans un lieu où ils ne sont souvent jamais allés. Cette année c’est la grande Mosquée et l’église Sainte Aurélie.

Quelques mots sur le spectacle « La controverse de Karakorum » ?

Depuis deux ans, nous proposons un spectacle lors de chaque édition. Cette année, il s’agit d’un spectacle qui a reçu le label UNESCO. Il raconte l’histoire de Frère Guillaume, franciscain missionné par Louis IX pour se rendre en Mongolie présenter une missive au Grand Khan de la cour de Karakorum.  Le souverain organise une controverse autour du thème : « Quelle est la plus importante des religions ? » Après de longs débats, ils se sont rendu compte que chacune avait des valeurs extraordinaires. Ils ont sorti leurs instruments de musique et ils ont joué ensemble. C’est de ce fait historique et magnifique datant du 11e siècle dont s’est nourri ce spectacle : « Controverse à Karakorum ».

Comment s’est passée la préparation de cette édition en temps de pandémie ?

Compte tenu de certaines difficultés à faire se déplacer des personnes de très loin, nous avons choisi de chercher et de soutenir des artistes qui représentent une palette internationale, mais qui vivent en France et dans l’espace européen. On peut dire qu’il s’agit là d’une réelle valorisation des personnes réfugiées qui, tout en vivant sur notre sol, travaillent à la manière de leur pays d’origine et permettent ainsi à un large public de pouvoir les écouter. Ensuite, bien entendu, nous sommes à l’écoute des règles sanitaires qui seront à mettre en vigueur…

 La 10e édition des Sacrées Journées aura lieu l’année prochaine ; vous y réfléchissez déjà ?

Oui, bien sûr ! Nous proposerons un concert dont les artistes auront été choisis par le fondateur du festival, Jean-Louis Hoffet, parmi tous les artistes qui sont venus ces dix dernières années. Et puis, je peux déjà vous dire que nous souhaitons faire une édition internationale…

Pour finir, pouvez-vous revenir sur un de vos plus beaux souvenirs dont les Sacrées Journées ont été porteuses ?

J’ai beaucoup de beaux souvenirs bien sûr ! Celui qui me vient en tête à l’instant même concerne des moines du Ladakh qui ont réalisé un mandala de sable dans la tradition bouddhiste tibétaine et avaient présenté des chants et des danses ancrés dans cette tradition. Ces personnes, qui étaient moines, repartaient vers leur lieu de vie dans les régions himalayennes. L’école où ils enseignaient se situe de l’autre côté du monde, dans un style de vie très humble. J’étais très touché de voir qu’ils étaient venus jusqu’à nous, pour partager leur culture. Je pensais à ces enfants qui verraient les photos du concert, de l’église Saint-Thomas et j’essayais d’imaginer comment ils nous regarderaient, avec leurs yeux d’enfants tibétains…

Un merci chaleureux à Michel Jermann pour cet entretien réalisé 15 jours avant le début des Sacrées Journées.

Lien : Sacrées Journées

 

Le Concordat : une chance pour l’Alsace-Moselle et pour la République

LE CONCORDAT : une chance pour l’Alsace-Moselle et pour la République

Par cette déclaration commune, les cultes statutaires d’Alsace et de Moselle souhaitent souligner ce qui fonde leur attachement commun, partagé par de nombreux Alsaciens-Mosellans, à la particularité régionale qu’est le droit local des cultes résultant du Concordat.
Le Concordat et les autres dispositions bien plus larges du droit local sont le fruit d’une histoire particulièrement mouvementée et à bien des égards, tragique. Notre République s’honore à reconnaître des particularités régionales dans le domaine de l’organisation politique, de la culture et des cultes, et ce dans plusieurs régions de France, s’inscrivant ainsi dans une réalité européenne riche de la diversité de ses régions. Une nation s’honore de la diversité de ses convictions et de sa culture et il est bon que l’État reconnaisse et encourage cette diversité. Il n’est pas inutile de rappeler à cet égard que le Conseil constitutionnel, la plus haute juridiction de notre pays, a affirmé dans sa décision du 21 février 2013, en réponse à une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), que les dispositions des articles organiques relatives aux cultes en Alsace-Moselle étaient conformes à la Constitution.

En tant que représentants des cultes relevant du droit local, nous considérons que notre régime respecte la laïcité et confirmons notre respect des lois de la République même si, comme toutes les autres familles de pensée de notre pays, nous revendiquons le droit à exprimer nos avis et nos questionnements sur la société et les sujets dont elle débat.

La reconnaissance réciproque entre l’État et les cultes statutaires, inscrite dans le droit local, instaure en Alsace-Moselle une laïcité de contrat, à la différence d’une laïcité de séparation caractérisant la loi de 1905. Cette relation contractuelle donne aux religions des droits et des devoirs. Elle oblige les cultes à se concevoir comme des acteurs de la vie publique favorisant le lien social et culturel et contribuant par leur engagement dans le dialogue interreligieux à une coexistence harmonieuse, fraternelle et pacifique des religions au sein de la société.

Qui plus est, le droit local permet de contribuer à la culture religieuse des jeunes en proposant, dans le cadre de l’enseignement religieux à l’école publique, une offre de formation qui leur permet de mieux comprendre le monde, et notamment sa dimension religieuse. A la culture de l’ignorance, de l’incompréhension et de la peur, cet enseignement oppose la vision de l’intelligence de soi et de l’autre.

De même, les facultés de théologie intégrées dans l’Université de Strasbourg permettent de former des prêtres, pasteurs et aumôniers, respectueux d’une laïcité qui donne sa place aux religions dans l’espace public, gage d’une vraie reconnaissance réciproque entre elles et les pouvoirs publics.

Ces divers éléments nous font considérer le droit local des cultes non comme une survivance de privilèges hérités du passé, mais comme une exigence d’une grande modernité au regard des enjeux de notre siècle, comme le Garde des Sceaux l’a encore souligné lors de son récent déplacement à Strasbourg.

Fait à Strasbourg, Colmar et Metz, le 3 mai 2021

Mgr Luc Ravel, Archevêque de Strasbourg

Mgr Jean-Christophe Lagleize, Évêque de Metz

M. Christian Albecker, Président de l’UEPAL, Président du directoire de l’EPCAAL

M. Christian Krieger, Vice-Président de l’UEPAL, Président du conseil synodal de l’EPRAL

M. Harold Avraham Weill, Grand Rabbin de Strasbourg

M. Claude Fhima, Grand Rabbin de Colmar

M. Bruno Fiszon, Grand Rabbin de Metz

Newsletter « Au fil du dialogue interreligieux mai 2021 »

Newsletter de la Région Grand Est consacrée au dialogue interreligieux

Sommaire :

  • Les Annonciades Célestes, seconde partie
  • Regards croisés : « Comment les temps d’épreuve sont-ils compris par les religions ? », seconde partie
  • Religions démêlées : « Rendez-vous à la mosquée »
  • 9ème édition du festival des Sacrées Journées
  • Agenda : les fêtes religieuses du mois de mai

Au fil du dialogue interreligieux

Les Annonciades Célestes, aventurières de Dieu, seconde partie

Au mois d’avril 2021, nous avons fait la connaissance de Julie Piront, présidente de l’Association du Couvent des Annonciades Célestes. Avec elle, nous sommes allées à la rencontre des Annonciades Célestes dans une première partie consacrée à l’aspect historique de cet ordre. Ce mois-ci, nous la retrouvons pour évoquer la foi et la vie spirituelle de ces religieuses mais aussi sa rencontre avec une des dernières Annonciades Célestes.

Bonjour Julie, nous allons reprendre notre entretien et aborder maintenant la vie spirituelle des Annonciades Célestes et votre rencontre avec l’une d’entre elles.

D’abord, leur vie spirituelle: les jeunes filles qui devenaient Annonciades Célestes le faisaient-elles réellement de leur plein gré ?

D’après les archives très abondantes que les Annonciades ont laissées un peu partout en Europe, la plupart des témoignages montrent que la grande majorité d’entre elles rentrent dans l’ordre de leur plein gré, parfois même à l’encontre de leurs familles. En effet, du point de vue des familles, voir sa fille ou sa nièce rentrer dans cet ordre s’apparentait à une mort : la règle de stricte clôture passait, même à l’époque, pour quelque chose de très rigoureux. On disait que ces religieuses, comme bien d’autres, étaient considérées comme « mortes au monde », elles changeaient d’ailleurs de prénom, elles disparaissaient littéralement… Nous avons, nous, contemporains, de nombreux préjugés envers les ordres religieux : depuis des siècles, on imagine qu’une femme prenait le voile parce qu’elle y était obligée, parce qu’elle n’était pas jolie, qu’elle était pauvre, etc. En fait, c’était un vrai choix de vie avec, évidemment, toutes les nuances que l’on peut apporter au « choix » durant cette époque d’Ancien Régime… Par ailleurs, une sélection très rigoureuse avait lieu parmi les prétendantes qui souhaitaient entrer au couvent car il était impératif que la vie en communauté soit la plus harmonieuse possible.

Quel était le sens de cette vie cloîtrée ?

La clôture avait un sens spirituel très profond : en se coupant du monde, en se cachant, en se rendant invisible, les Annonciades Célestes nourrissaient leur dévotion pour le Verbe Incarné, pour Jésus qui est Annonciateur du salut de l’humanité. Leur objectif était de se réaliser spirituellement mais aussi de prier pour le salut de l’humanité. Elles se projetaient à la fois comme la Vierge, la Mère du Christ, et les épouses du Christ. Leur vêtement bleu et blanc était inspiré du vêtement traditionnellement octroyé à la Vierge, une couleur qui leur a valu le qualificatif « céleste ». Leur vêtement était même une clôture en soi, car elles utilisaient de longs voiles qu’elles rabattaient sur leur visage pour le dissimuler en présence des personnes extérieures à la communauté. A leur vêtement se superposaient d’autres clôtures. Ces religieuses étaient dans leurs cellules qui étaient dans le couvent, qui était dans les murs de l’enclos, qui était dans les murs de la ville…  La fondatrice de Gênes disait même « qu’on ne devait rien voir d’autre que le ciel » pour avoir une relation directe, donc privilégiée avec Dieu.

Les Annonciades Célestes était un ordre contemplatif et les sœurs suivaient un rythme quotidien bien défini : huit heures de prières par jour, alternant avec quelques moments de travaux manuels et de repos. Je pense que ces femmes avaient une quête profonde d’absolu et que ce mode de vie très sévère relevait pour elles d’une forme d’idéal.

Elles défendaient aussi la foi catholique à leur manière, n’est-ce pas ?

Oui, absolument ! Si l’on regarde la carte des implantations de ces couvents d’Annonciades avant la Révolution française, on a vraiment l’impression qu’une stratégie de « défense de la catholicité » s’était mise en œuvre, même si les sœurs n’en avaient pas forcément conscience : il y a là une ligne qui relie la mer Méditerranée à la mer du Nord (que les historiens ont désignée comme « la dorsale catholique ») et qui incarnait la zone de frontière des catholiques face aux protestants. Et il se trouve que les couvents des Annonciades (avec d’autres ordres religieux) formaient, par leur implantation même, une sorte de rempart, une succession de bastions catholiques face aux protestants. Ainsi, même en se retirant du monde, ces femmes démontraient une volonté forte de s’engager dans la défense de la catholicité.

Ensuite du point de vue de « leur vie de femme » si je puis m’exprimer ainsi, beaucoup d’entre elles trouvaient dans cette vie matière à s’épanouir. En effet, en devenant religieuses, même cloîtrées, elles s’affranchissaient d’une certaine manière de l’emprise masculine d’un père ou d’un mari. Elles pouvaient développer d’autres projets de vie que ceux liés à la maternité ou à la vie conjugale. Même si nous avons du mal à comprendre aujourd’hui que l’on puisse vouloir s’enfermer de manière volontaire, beaucoup de femmes trouvaient dans une vie religieuse la possibilité de vivre leurs aspirations spirituelles d’une part mais également de mettre à profit et de développer leurs compétences, leur intelligence.

Religieuses en procession à Joinville

Quand vous parlez de compétences, de quoi s’agissait-il ?

D’abord, c’étaient des écrivaines très prolixes car elles avaient la volonté de laisser les traces écrites qui aideraient non seulement à l’édification de celles qui allaient leur succéder mais aussi à nourrir la mémoire de leur communauté et de leur ordre. Après le décès de la fondatrice Marie Victoire Fornari en 1617, la communauté de Gènes a décidé dans les décennies suivantes de la faire canoniser. Mais pour cela, il fallait attester de miracles et les sœurs génoises se sont donc tournées vers les autres communautés pour savoir s’il y avait eu des miracles que l’on pouvait lui attribuer, ce qui a renforcé des liens avec cette « maison-mère ».  Très tôt, une correspondance s’est établie non seulement sur ce sujet mais aussi sur la manière de suivre la règle et de résoudre des difficultés qui pouvaient voir le jour dans les couvents. Il faut relever qu’aucune Italienne n’avait jamais mis les pieds au nord des Alpes. Donc, il y avait nécessité de se faire conseiller sur la manière d’aborder telle ou telle chose dans le strict respect de la règle de l’ordre.  A Joinville, nous avons la chance d’avoir des écrits datés de 1625 à 1959. Ils couvrent donc plus de trois siècles traversés par des guerres, des épidémies, des changements politiques. Ces textes nous livrent ce qu’était la vie quotidienne des religieuses et des informations sur elles. On y trouve les hommages rédigés à l’occasion des décès de sœurs où l’on faisait mention de leurs qualités humaines et spirituelles, mais aussi de leurs compétences particulières. C’est ainsi que nous savons que nombre d’entre elles avaient des talents de couturières, de jardinières, de pharmaciennes, de peintres, etc. Les Annonciades ont toujours essayé de faire le plus possible par elles-mêmes. D’une part parce que cela coûtait moins cher et d’autre part parce que cela évitait de faire rentrer un homme dans la clôture. Certaines d’entre elles ont été des « religieuses architectes » même si on n’a pas retrouvé les plans qu’elles ont réalisés.  On sait qu’elles avaient fait les croquis de leur couvent sur lesquels elles avaient dessiné l’agencement global des bâtiments dans un esprit très fonctionnel, sachant parfaitement de quels espaces elles avaient besoin. Dans les écrits qu’elles ont laissés, on voit qu’elles tiraient d’ailleurs une certaine satisfaction à ajouter que ce plan avait été soumis à des architectes masculins, parfois célèbres, et que « ce monsieur n’avait rien trouvé à redire » au plan présenté. C’étaient des femmes qui, face aux hommes (qu’ils soient évêques, architectes, notaires, …), ont fait entendre leurs voix, ont cherché à faire reconnaître leur légitimité.

Qui était la dernière Annonciade Céleste du couvent de Joinville ?

Je ne l’ai malheureusement pas rencontrée : sœur Marie Bernadette Stenger est décédée en 2017, à l’âge de 89 ans. Étant restée à Joinville après la fermeture du couvent en 1968, beaucoup de Joinvillois me parlent encore d’elle. En l’absence de nouvelles recrues depuis 1950, l’évêque de Langres a fait le choix difficile de fermer une communauté vieillissante qui n’était plus composée que d’une dizaine de sœurs. A la lecture de leurs écrits, on voit que les religieuses ont très mal vécu cette fermeture. Une partie d’entre elles sont parties à Langres qui a été le tout dernier couvent des Annonciades Célestes à fermer en 1984. Deux sœurs sont parties pour les couvents de Rome (toujours en activité) et de Barbarin (Espagne, fermé en 2016). Sont restées sur place la sous-prieure, trois religieuses et une sœur tourière*.

J’ai rencontré en 2010 les deux dernières sœurs de Langres qui vivaient dans une maison de retraite tenue par les sœurs de la Sagesse, à Saint-Loup-sur-Aujon : sœur Marie Agnès Pérard et sœur Marie Eliane Pillon, l’une décédée en 2013, l’autre en 2019. Elles se savaient être les dernières religieuses françaises de leur ordre, les dernières à écrire les dernières pages d’une présence quadri-séculaire en France. Lors de ma visite, je les avais prévenues que je viendrai avec un collègue masculin et cela ne leur avait absolument pas posé de problème. Elles nous ont reçu sans clôture et elles ne portaient pas de voile. Quand je leur ai demandé si le fait qu’il n’y avait plus de clôture à Saint-Loup était plus facile à vivre pour elles, elles m’ont répondu « que la clôture n’avait aucune importance et que la clôture était là » en pointant leur front. Cette clôture était complètement intégrée dans leur vie quotidienne : avec ou sans clôture physique, c’était pareil ! Lorsque je les ai questionnées sur les raisons de leur choix de devenir Annonciade Céleste, la plus âgée, Marie Eliane, m’avait répondu qu’elle avait voulu être carmélite mais que le curé de sa paroisse lui avait dit qu’elle n’avait pas la constitution physique pour le Carmel. Elle est pourtant décédée quasi centenaire !!!!

Communauté en partie 1936

Pour clore notre entretien, en quelques mots, que vous apporté et que vous apporte encore à vous, Julie, cette rencontre avec les Annonciades Célestes ?

Lorsque j’ai commencé à étudier ces religieuses en 2005, j’étais loin de me douter que j’allais les pister aux quatre coins de l’Europe, depuis la Belgique jusqu’en Italie, de la France jusqu’en Slovénie. Elles m’ont fait beaucoup voyager ! C’est grâce à elles qu’un jour j’ai débarqué à Joinville, petite ville de Haute-Marne dont je n’avais jamais entendu parler, et où je vis désormais. D’une certaine façon, les Annonciades Célestes m’ont emmené dans une aventure humaine, jalonnée de nombreuses rencontres, qui a impacté ma vie personnelle.

Le rachat de l’ancien couvent joinvillois par des amis en 2019 m’a offert l’opportunité de donner une tournure concrète à mes recherches universitaires, au travers des projets que nous menons avec l’association pour restaurer le bâtiment et valoriser l’histoire de ces religieuses qui ont tant de choses à nous raconter sur ce qu’était être femme à Joinville, du 17e au 20e siècle. Étudier les Annonciades Célestes m’a aussi conduite à m’intéresser à l’histoire des femmes, une histoire aussi riche que passionnante et qu’il est temps de faire connaître au plus grand nombre.

Tour des Annonciades de Langres

*Une sœur tourière assure le service du tour : il s’agit d’une sorte de tonneau en bois muni d’une ouverture pour y déposer des objets. On le fait ensuite pivoter dans l’épaisseur du mur pour que la personne de l’autre côté du mur puisse récupérer l’objet. Les sœurs tourières assuraient l’interface entre le monde extérieur et la communauté. Elles avaient leur propre logement, elles ne vivaient pas avec le reste de la communauté.

(Un grand merci à Julie Piront pour nous avoir accompagné à la découverte des Annonciades Célestes , merci pour son engagement et le bel échange qui est à la base de ce travail).

« Le Concordat, c’est aussi un engagement des religions à défendre les valeurs de la République »

                       « Le Concordat, c’est aussi un engagement des religions à défendre les valeurs de la République »

Avec l’aimable autorisation du Monde rubrique Monde des Religions : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/16/le-concordat-c-est-aussi-un-engagement-des-religions-a-defendre-les-valeurs-de-la-republique_6076969_3232.html

Rabbin à Strasbourg, Mendel Samama analyse, dans une tribune au « Monde », les effets sur son sacerdoce du régime concordataire qui, en Alsace et en Moselle, organise les relations entre les religions et l’État, et fait de lui un « rabbin d’État ». Mendel Samama est rabbin de Strasbourg et de la synagogue de la Meinau.

Alors qu’un sondage IFOP, publié le 7 avril, indique que 52 % des Alsaciens-Mosellans sont favorables à l’abrogation du Concordat, ce régime qui organise les relations entre les religions et l’État, et est associé à un financement, je me suis posé la question de ce qui avait changé chez moi depuis que je suis rabbin d’État, et est-ce que ce changement justifiait l’engagement de cette relation.

L’exercice de mon sacerdoce commença avant mon statut, puisque j’ai exercé au sein d’une des plus grandes organisations juives internationales, appelée Habad-Loubavitch. La vie m’a permis d’intégrer l’équipe rabbinique du consistoire israélite de Strasbourg et, après quelques mois, j’ai reçu ma première feuille de paie avec l’en-tête de la République française-ministère de l’intérieur.

C’est à ce moment que la vision de ma vocation a changé, et ce, à deux niveaux. Être rabbin d’État, ce n’est pas uniquement être un rabbin payé par l’État. C’est surtout être un rabbin qui peut à tout moment devoir rendre des comptes à son employeur qui est l’État.

Je me souviens du 8 janvier 2015, le lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, quand le maire de Strasbourg, Roland Ries, et le préfet, Stéphane Bouillon, convoquent les représentants religieux de la ville pour la signature d’une déclaration commune réaffirmant les valeurs de la République.

Le sens du Concordat y résonnait avec splendeur. Parce que le Concordat, ce n’est pas uniquement à sens unique, c’est aussi un engagement des religions à défendre les valeurs de la République, à la représenter et à œuvrer pour elle.
Puis, rabbin d’État veut aussi dire que je ne suis pas uniquement le rabbin de la synagogue, mais aussi le rabbin des habitants du quartier ou de la circonscription dont j’ai la charge. Peu importe la religion et les convictions de ces derniers, ma responsabilité dépasse le contour de ma religion pour s’adresser à chacune et chacun sans distinction.

En avril 2019, alors que la communauté juive traversait une période difficile avec une recrudescence des actes antisémites, l’association interreligieuse de notre quartier de la Meinau, Oasis de la rencontre, décida d’organiser une soirée de solidarité à la synagogue. Il s’agissait de permettre à tous et toutes de partager un moment ensemble et de témoigner d’une solidarité. Le prêtre, la pasteure, l’imam et le rabbin ont pris la parole dans la synagogue, parce que nous étions tous chargés du bien-être de notre quartier. Les leaders religieux sous le régime du Concordat sont des collègues avec un employeur unique qui nous engage à être solidaires et à lutter sans relâche pour améliorer la vie commune de nos quartiers et construire le vivre-ensemble.

Cette conscience n’est pas automatique. Même si elle peut exister sans le Concordat, elle reste la plupart du temps une affaire de conscience personnelle alors que le régime concordataire l’impose.

Recevoir chaque mois cette feuille avec l’en-tête de la République française, ce n’est pas juste un privilège, c’est un engagement renouvelé envers les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, elles nous rassemblent et sont porteuses d’espérance afin d’améliorer la vie et le quotidien de tous et d’œuvrer en faveur de la cohésion de notre société.

Ne pas mettre en valeur ces acquis du Concordat, c’est faire l’impasse sur ce qui fait l’essentiel de son esprit et comment il permet aux religions de servir les valeurs de la République et pas uniquement comment la République peut financer les religions.

Le judaïsme associe toujours un droit à un devoir. Bénéficier d’un financement ou d’une rémunération de l’État indique un devoir envers lui. Il ne s’agit évidemment pas pour l’État de s’immiscer dans les affaires religieuses, mais de pouvoir « demander des comptes » aux religions quant à leur engagement pour les valeurs universelles et communes.

par Mendel Samama

 

Newsletter « Au fil du dialogue interreligieux avril 2021 »

Newsletter de la Région Grand Est consacrée au dialogue interreligieux

Sommaire :

  • Contribution de Julie Piront, présidente de l’association du couvent des annonciades célestes de Joinville
  • Les annonciades célestes, première partie
  • Regards croisés : « Comment les temps d’épreuve sont-ils compris par les religions ? »
  • Religions démêlées : « Focus sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République »
  • Agenda : les fêtes religieuses du mois d’avril

Au fil du dialogue interreligieux

Les Annonciades Célestes, aventurières de Dieu, première partie

Il est parfois de jolies et passionnantes rencontres qui nous donnent l’occasion d’apprendre de nouvelles histoires au sein de la Grande Histoire. C’est ce qui nous est arrivé en rencontrant Julie Piront.

Elle nous a ouvert, virtuellement pour l’instant, les portes du couvent des Annonciades Célestes de Joinville en Champagne et ce fut non seulement une belle rencontre mais aussi une découverte passionnante que nous avons souhaitée partager avec vous.

Nous vous proposons donc de nous suivre durant deux mois chez les Annonciades Célestes, ordre féminin qui fut très implanté dans ce qui est aujourd’hui la Région Grand Est et dont on trouve maintes traces sur notre territoire.

Bonjour Julie, pouvez-vous nous dire qui a créé l’ordre des Annonciades Célestes ?

L’ordre des Annonciades Célestes a été fondé par une femme du nom de Marie Victoire Fornari à Gênes en Italie. Après avoir été mariée et être devenue veuve, elle a souhaité ardemment créer un ordre religieux très strict et ceci bien qu’elle ait été incitée à devenir Carmélite, ordre qui avait alors le vent en poupe dans la cité génoise. Elle a donc trouvé des bienfaiteurs et des bienfaitrices, dont certaines sont entrées dans l’ordre avec elle. Après avoir élaboré les constitutions (la règle) de son ordre, elle a pu recevoir l’autorisation de l’archevêque de Gênes de créer l’ordre des Annonciades Célestes en 1604.

Quelle est la particularité de cet ordre ?

La stricte clôture. C’est un choix fort que posait Marie Victoire Fornari en créant cet ordre ! Il faut savoir que les femmes qui devenaient Annonciades Célestes faisaient un quatrième vœu, celui de la clôture, en plus des vœux traditionnels d’obéissance, chasteté et pauvreté.

Vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce vœu ?

Quand les jeunes femmes entraient dans un couvent des Annonciades Célestes, elles savaient qu’elles n’en sortiraient plus jamais sauf sur autorisation (exceptionnelle) de l’évêque. Après un an de noviciat, elles faisaient profession et s’engageaient à respecter ce vœu de clôture, ce qui impliquait entre autres choses qu’elles ne verraient plus leurs familles que six fois par an et la famille très proche, bien sûr. Du point de vue matériel, la rencontre se faisait au travers d’une grille très particulière : cette grille était double – grille en bois et grille en fer – donc avec un double maillage qui restreignait la taille des trous. S’y ajoutaient des volets en fer percés de petits trous sur lesquels était tendue une toile noire. Ainsi quand on fermait les volets, on ne pouvait pas voir la religieuse, on pouvait seulement l’entendre. Et la règle voulait que ces Annonciades ne puissent voir leur famille que trois fois à « volets ouverts » et trois fois à « volets fermés ». A Joinville, nous pouvons encore voir ces grilles. Ce sont à ma connaissance les dernières conservées en Europe.

Grilles des Annonciades (crédits François Griot)

Nous reviendrons dans la newsletter du mois de mai sur la signification spirituelle de ce vœu et sur votre rencontre avec une des dernières Annonciades Célestes, mais pouvez-vous nous raconter comment cet ordre s’est établi sur le territoire du Grand Est ?

Comme je vous l’ai dit, le premier couvent a été fondé à Gènes en 1604 par Marie Victoire Fornari. Celle-ci était quadragénaire lorsqu’elle a fondé cet ordre et est décédée seulement treize ans après sa fondation, en 1617. Ce n’est donc pas de son fait si l’ordre s’est répandu en Europe. Les Annonciades Célestes sont un ordre très discret et l’on ne compte qu’une cinquantaine de couvents fondés avant 1800. C’est très peu pour les 17e et 18e siècles. A titre d’exemple, les Carmélites réformées de Thérèse d’Avila ont fondé 77 couvents durant la même période et dans les seules frontières actuelles de la France. Mais ce mode de vie correspondait au souhait de certaines femmes et le contexte historique, la Réforme catholique ou Contre-Réforme, était favorable à la création d’ordres religieux. On a d’ailleurs parlé « d’invasion conventuelle » pour qualifier ce mouvement de multiplication presque frénétique des communautés religieuses au 17e siècle.

Après Gênes, le deuxième couvent est fondé à Pontarlier, lui succède celui de Vesoul et c’est ce dernier qui va fonder celui de Nancy. Pontarlier et Nancy vont vraiment être les moteurs de la diffusion de cet ordre religieux au Nord des Alpes. Nancy est fondé en 1616 et à partir de là, un déploiement s’opère vers l’Est, à Haguenau et vers l’Ouest, à Joinville le 16 mai 1621 (nous allons fêter le quatre-centième anniversaire de leur arrivée ici !). Les Annonciades fondent encore à Langres en 1623, Epinal en 1632, Bourmont (entre-Meuse-et-Mouzon) en 1664. Sans oublier que d’autres fondations ont lieu en Meuse, vers Paris, puis vers la Belgique actuelle et même jusqu’en Allemagne actuelle. Ce sont des bâtisseuses !

Les Annonciades ont leurs propres « réseaux sociaux » : des connaissances, des familles, des bienfaiteurs, etc. Elles arrivent à mettre à profit toutes les possibilités qui leur sont offertes pour fonder de nouveaux couvents, ainsi qu’elles le racontent dans leurs chroniques qui sont passionnantes.

Carte Julie Piront

Comment se faisait l’installation d’un couvent ?

La plupart des couvents sont fondés en ville entre 1600 et 1650. En effet, lors du Concile de Trente (1545-1563), le sujet de la vie des religieuses qui, apparemment, inquiétait beaucoup, fut abordé.  Jusque-là, de nombreux couvents étaient en rase campagne et donc, à l’abri des regards. Que faisaient ces femmes ? Qui recevaient-elles ? Aux yeux de beaucoup d’ecclésiastiques de l’époque, les femmes étaient vues comme les « filles d’Eve », des pècheresses en devenir qu’il fallait étroitement surveiller. Le Concile de Trente leur imposa donc de s’installer en ville et de vivre en clôture, même aux ordres enseignants, ce qui ne sera pas sans poser de problèmes. Ainsi, ces femmes vont-elles être placées sous le contrôle de la société : on voit qui rentre et qui sort du couvent…. Mais pour les Annonciades Célestes, vivre en ville et en stricte clôture, c’était exactement ce qu’elles voulaient !

Donc, pour établir un couvent, il faut acheter une maison, puis une autre à côté, puis un bout de terrain et faire avec cet ensemble de bâtiments quelque chose qui ressemble à un couvent. Si elles ont l’argent, elles rasent tout et font construire un couvent tel qu’elles le souhaitent, si elles n’ont pas assez d’argent, elles cassent des murs, ajoutent un portail pour bien montrer qu’il s’agit là d’une église et non pas d’une maison….  Les couvents ressemblent souvent à un ensemble de maisons les unes à côté des autres, avec un jardin aussi vaste que possible cerné d’un mur de 4 mètres de haut.

Comment financent-elles ces achats, ces transformations ?

Leur première source de revenus, ce sont leurs dots : pour devenir Annonciade Céleste, on apporte une dot au couvent (au lieu de l’apporter à un mari). Il y a deux statuts chez les Annonciades : les sœurs choristes qui ne font « que » prier et les sœurs converses qui sont affectées aux tâches domestiques. Évidemment, la dot des secondes est moins élevée que celle des premières. En fonction de la ville où se situe le couvent, la dot des unes et des autres varie également. Il faut savoir que ce ne sont pas des femmes pauvres qui entrent chez les Annonciades Célestes, car la subsistance du groupe dépend de ces dots. Lors de leur installation dans une ville, il peut d’ailleurs être spécifié dans l’autorisation municipale qu’elles reçoivent qu’elles ne soient pas à la charge de la population et donc être autonomes financièrement.

Les dons et legs de bienfaiteurs sont une autre source importante de revenus, de même que l’argent généré par les propriétés foncières et les terres qu’elles acquièrent ou qui leur sont offertes.

Parlez-nous du couvent de Joinville ?

A Joinville, il y avait plusieurs couvents à la Révolution : un couvent d’Annonciades créé en 1621, un couvent d’Ursulines, un couvent de Bénédictines, un couvent de Capucins et un couvent de Cordeliers : cinq couvents pour environ 5000 habitants, c’est énorme !  Il faut se rappeler que Joinville est le lieu de naissance de presque tous les membres de la famille de Guise au 16e siècle, des personnes très influentes et très catholiques, ceci explique peut-être cela.

Ici comme ailleurs en France, la Révolution met un couperet net à toutes les communautés religieuses avec une grande violence. Seuls deux couvents d’Annonciades parviennent à perdurer, celui de Langres et celui de Saint-Denis (à côté de Paris). Durant plusieurs années, elles vivent sans pouvoir porter l’habit, sans clôture, se rendant dans les églises proches pour entendre la messe, attendant des jours meilleurs. Sous Napoléon, s’opère la réouverture des communautés religieuses. Le couvent de Saint-Denis est dans un état qui ne permet plus d’y vivre, les religieuses se trouvent donc obligées d’en partir. Elles savent qu’à Langres, un autre couvent de l’ordre a lui aussi survécu. En quête d’un nouveau lieu pour s’installer, elles rendent visite à leurs sœurs langroises, passent par Joinville, apprennent qu’il y a là un ancien couvent de Bénédictines, le visitent et l’achètent sans savoir qu’avant la Révolution, des Annonciades occupaient déjà un couvent dans cette ville ! C’est une histoire incroyable !

Couvent de Joinville (Crédits MarOneParis)

Donc, en fait, il y a eu deux couvents d’Annonciades à Joinville au fil des siècles ?

Oui, c’est cela. En 1842, elles s’installent à Joinville mais dans l’ancien couvent des Bénédictines, inoccupé depuis la Révolution. Dans la chronique de ce second couvent – et nous verrons que les Annonciades ont été des écrivaines très prolixes – il est raconté cette histoire que je trouve très touchante:

En 1846, le curé de Bienville (Haute-Marne) vient voir les sœurs et leur indique que dans sa paroisse, il y a une vieille femme, nommée Marie Jeanne Caillot, qui a toujours vécu seule, avec une vie que l’on peut qualifier de religieuse et qui, apparemment, est entrée chez les Annonciades sous l’Ancien Régime. Cette femme, qui a alors 79 ans, vit dans des conditions matérielles épouvantables. Aussitôt, les Annonciades décident de la recueillir et l’invitent à les rejoindre. Elles racontent que la veille femme arrive couverte de puces, qu’elle a la vermine. La première chose qu’elles font est de la déshabiller, de brûler ses habits et de la laver! En fait, d’après les chroniques, il apparaît que cette femme n’avait pas pu prendre l’habit à cause de la Révolution. 50 ans après, dans le nouveau couvent de Joinville, elle réussit tout de même à devenir Annonciade après son année de noviciat, c’est-à-dire à 80 ans. La chronique dit qu’elle pleure de joie et qu’elle vécut encore 6 années. C’est la seule personne qui, à notre connaissance, ait fait le lien entre les deux communautés.

Merci beaucoup ! Si vous le voulez bien, nous allons laisser là notre lecteur en espérant le retrouver le mois prochain. Nous y aborderons la vie quotidienne de ces sœurs et bien sûr, leur vie spirituelle.

 

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